On a beau, aujourd’hui, être suavement invité : « prends la demi-journée pour benchmarker la solution et j’attends ton feedback ASAP [as soon as possible] »[1], la modernité n’a pas démocratisé la fonction des dirigeants d’entreprise.
Inutile d’attendre la fin d’un hypothétique quinquennat, il n’y aura ni campagne pour remplacer le chef d’atelier, ni passage à l’isoloir pour élire un « candidat plus digne ». Qu’il ait créé son entreprise ou qu’il ait été choisi par un conseil d’administration, qu’il ait été recruté parmi 200 candidats ou qu’il soit arrivé là par le hasard d’une mutation, il faut en tirer son parti : le dirigeant n’est pas sujet à la saisonnalité des scrutins.
Faut-il s’en réjouir ou s’en lamenter ? C’est selon. Le juilletiste, malheureux de l’être, peut espérer davantage d’un manager attentif et courageux garantissant l’alternance des congés que d’un consensus des aoûtiens. Reste néanmoins que si le choix du dirigeant d’entreprise n’est pas soumis à l’approbation de ses salariés, son autorité peut dégénérer rapidement en autocratie.
Reste donc ce fameux – et néanmoins nébuleux – « management participatif ». Est-il la solution miracle ? La participation aux résultats, réglementé par De Gaulle en 1959, n’a pourtant pas sonné le glas du taylorisme, et la « direction par objectif concerté » a été tout aussi bien l’outil de prédilection de parfaits autocrates.
Toutes les décisions prises au sein de l’entreprise peuvent-elles être l’objet d’un consensus entre tous les collaborateurs ? Le comptable et le chef de production ont-ils un avis objectivement équivalent dans le choix d’un nouvel investissement industriel ? Le chef d’atelier peut-il avoir un réel point de vue sur le nouveau logiciel de facturation ? Quel consensus trouver lorsqu’il s’agira de déménager l’entreprise dans des locaux plus adaptés à 20 km de l’emplacement actuel ?
Le rôle du dirigeant d’entreprise, du chef d’équipe, quoiqu’en aient le benchmarking et autres feedbacks délicieusement sollicités, sera toujours de décider. De décider avec bon sens, en s’appuyant sur des expertises hiérarchisées. De décider dans son domaine, sans empiéter sur la part d’initiative de ceux qui peuvent prendre la décision en l’assumant. De décider surtout, je crois, avec courage, en assumant les choix, sans recourir à cette petite lâcheté qui consiste à « faire porter le chapeau » au consensus des collaborateurs en cas de boulette.
[1] La Novlangue managériale. Emprise et résistance, Agnès Vandevelde-Rougale, Erès, en 2017